LA MEDIATION : LE CONFLIT – LE LITIGE

Anne Bérard, Vice Président TGI de Paris :

« Faire de bons jugements, bien motivés, ce n’est pas forcément rendre une bonne Justice. Traiter le litige, ce n’est que traiter la surface des choses, c’est confondre le litige avec le conflit. Or le conflit ne s’éteint pas avec le litige. La Justice ne fait œuvre utile que lorsque les parties elles-mêmes parviennent à régler ensemble leur conflit. C’est tout l’apport essentiel de la médiation dans le processus judiciaire ».

Définitions :

Le conflit  est une violente opposition de sentiments, d’opinions, d’intérêts entre au moins deux personnes ou deux groupes de personnes. C’est une situation résultant notamment de motivations et/ou objectifs plus ou moins mutuellement incompatibles.

Le litige est, sur le plan juridique, une contestation, un différend, donnant lieu à procès ou à arbitrage et donc à la saisine d’une juridiction. La juridiction doit trancher le litige et uniquement le litige qui lui est soumis.

Le différend est un désaccord, une contestation résultant d’une différence d’opinion, d’intérêts, de point de vue.

La médiation généraliste est un processus confidentiel dans lequel le médiateur –tiers qualifié, neutre, impartial et indépendant- donne aux parties, assistées de leurs conseils, les moyens de rechercher ensemble une solution équitable en vue de régler un différend qui les oppose. La médiation repose sur une démarche volontaire.

Présentation :

Le nœud de l’intérêt pour la médiation réside dans une réflexion sur la distinction entre « conflit et litige ».

Faire la différence entre « conflit et litige » et ne pas confondre ces deux notions constituent  le point central de l’intérêt et de l’utilité de la médiation.

La médiation a deux objectifs :

  • Travailler le conflit entre les personnes,
  • Travailler le litige.

Le litige est la problématique soumise au juge. Les parties demandent au juge une réponse juridique.

Le conflit correspond à tout ce qui est autour et sous le litige. Il est caractérisé par « les non-dits » entre les personnes, les silences, les mensonges, les torts, les griefs, la souffrance, la blessure narcissique, le vécu passé plus ou moins difficile etc…

Comme le dit Claire Denis médiatrice :

« Le litige est une traduction du conflit sur la scène judiciaire, il va y être épuré de sa subjectivité pour y être objectivé. A trop se centre sur le litige, le conflit pourrait rester « tapi » dans l’ombre ».

Le conflit est représenté par tout ce qui oppose les personnes et qui est souvent caché.

Force est de reconnaitre que la Justice règle des litiges, en apportant des réponses de l’extérieur, sans pour autant résoudre les conflits de l’intérieur.

En effet, une décision judiciaire apporte une solution au litige, mais si elle donne un cadre juridique, elle règle rarement le conflit, et le conflit, s’il n’est pas travaillé dans un espace de parole, va polluer l’exécution de la décision, ce qui explique :

  • Les saisines du Jex,
  • En matière familiale, les instances modificatives, notamment après un divorce par consentement mutuel,
  • Les plaintes au pénal.

Quelques exemples :

-en matière de construction :

Un litige qui oppose un particulier à un constructeur de maisons individuelles. 

D’un côté, un particulier qui a mis toutes ses économies, qui s’est endetté pour faire construire et reçoit un immeuble qui n’est pas conforme à ce qu’il attendait, affecté de malfaçons. De l’autre côté, un constructeur de maisons individuelles qui souhaite conserver une bonne image de marque.

Dans ce type de litige, il convient d’abord de travailler le conflit.

Le rôle du médiateur sera en effet de permettre aux parties de s’entendre, peut – être de se comprendre, de travailler sur la charge émotionnelle, voire passionnelle très forte pouvant exister de la part du propriétaire. Le médiateur  aura pour mission, dans un second temps, de travailler avec les parties les points de convergence et de leur permettre de rechercher des solutions aux points de divergeance.

-en matière de droit de la famille :

– un père demande la suppression de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant. Il s’agit du litige soumis au juge. En réalité, le litige présenté au juge ne constitue qu’une partie émergée du vrai problème. Le père ne voit plus l’enfant depuis de nombreux mois et ne souhaite plus verser la contribution alimentaire. Le conflit demeure entre les parents, voire entre les ex conjoints lorsque la séparation initiée par l’un n’est toujours pas acceptée par l’autre.

– Un père et une fille concluent une promesse unilatérale de vente ayant pour objet une résidence familiale appartenant au père, et à laquelle la fille, pour des raisons sentimentales tient particulièrement. A la suite d’une dispute, le père se rétracte et refuse de céder le bien.

Lors du procès, les parties acceptent une médiation aux termes de laquelle un accord intervient pour finalement réaliser la vente. Mais à des conditions différentes de celles de la promesse.

A la suite de l’accord, le père et la fille ont renoué des liens.

-en matière de servitude : 

Un concessionnaire automobile qui exploite un garage dans les murs d’une copropriété a pour les besoins de l’entreprise modifié des canalisations passant par la cave d’un co -propriétaire.

Ce dernier l’assigne pour aggravation de la servitude des canalisations existantes. Il demande la destruction des nouvelles canalisations.

La médiation permet de travailler le conflit existant entre les co -propriétaires et de trouver une solution. L’accord homologué décide que le concessionnaire rachète la cave dont son adversaire n’avait en réalité aucunement besoin et ce pour un coût largement inférieur à celui de la remise en état des lieux.

en matière de conflit de voisinage :

Dans un petit immeuble ancien de 4 étages, un ascenseur est aménagé à l’initiative d’un co-propriétaire du 3ème étage, syndic bénévole. Un copropriétaire du 4ème étage agit au motif que l’ascenseur a été installé en violation du règlement de copropriété. Une médiation est ordonnée.

Elle permet de traiter l’origine du conflit de voisinage qui n’avait rien à voir avec l’ascenseur que le demandeur a d’ailleurs reconnu utiliser tous les jours à sa plus grande satisfaction et dont il aurait dû continuer à supporter le coût, outre celui de son démontage s’il avait été fait droit à sa demande.

en matière de succession :

Une mère décède laissant pour lui succéder son mari en secondes noces, et les deux enfants d’une première union qui ont rompu tout lien avec elle depuis plus de 30 ans, après son remariage, après la mort de leur père.

Il existe un patrimoine très important.

En vertu de la donation réciproque entre les époux, le second mari se trouve en indivision avec les enfants du premier lit. La situation est très conflictuelle.

De nombreuses procédures existent concernant notamment une villa dont les enfants sont nu propriétaires et les conjoints usufruitiers.

La médiation ordonnée avec l’accord des parties permet de conclure à un partage amiable.

-en matière de donation :

Une mère nue propriétaire en fait donation à sa fille.

La banque créancière de la mère exerce l’action paulienne pour lui voir déclarer la donation inopposable.

La mère et la fille ne disposent que de revenus modestes ne leur permettant pas d’apurer la dette. Après deux jugements, trois arrêts de Cour d’appel et un arrêt de cassation, les parties acceptent une médiation et l’affaire est réglée à l’amiable.

Le Judiciaire traditionnel fonctionne en commençant par la fin (le litige), sans penser à commencer à régler le début (le conflit).

Le Judiciaire prend les choses à l’envers. Il prend le litige et y apporte une réponse juridique sans traiter le conflit, alors que pour qu’une décision soit bien appliquée et pérenne, c’est l’inverse qu’il convient de faire, penser à travailler le conflit avant de trouver une solution juridique.

C’est comme si :

  • Un architecte commençait à construire une maison par la toiture, sans penser aux fondations,
  • Un chirurgien commençait à opérer sans faire un diagnostic pré opératoire,
  • Un obstétricien ne faisait pas de diagnostic avant une opération.

La médiation permet de comprendre que l’avocat et le juge ne peuvent pas faire fi du conflit. Attention, il ne s’agit pas de supprimer le conflit, le conflit étant en lui-même quelque chose de positif, mais, il faut le travailler, ne pas le laisser en l’état.

La médiation qui est d’abord restauratrice de liens avant d’être négociatrice, s’intéresse au conflit avant que les parties trouvent une solution au litige.

Elle permet de travailler « pas seulement la surface des choses » mais « l’intérieur des choses ».

Elle permet de travailler la souffrance des personnes, les non-dits, l’abcès du conflit et de réfléchir à des solutions adaptées.

10 novembre 2018

Marc Juston

Médiateur

Magistrat honraire

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