L’ÉVOLUTION DE LA MISSION DE L’EXPERT : UNE INTERACTION NÉCESSAIRE ENTRE L’EXPERTISE ET LES MODES AMIABLES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Introduction

En tant qu’ancien magistrat, et actuellement Médiateur, il m’apparaît essentiel de réfléchir sur la nécessité d’appréhender la mission d’expertise, sous l’œil des modes amiables de règlement des différends (mards), à savoir la conciliation, la médiation et la procédure participative.

Le législateur et le pouvoir réglementaire encouragent fortement le développement des modes amiables de règlement des différends, et notamment la médiation.

La loi dite « Justice du XXIème siècle » et la loi de programmation sur la Justice 2018 – 2022   imposent de favoriser les modes amiables de règlement des différends en permettant au citoyen de régler son litige, de manière négociée avant la saisine du juge et même une fois ce dernier saisi.

Cette façon moderne de faire valoir ses droits et sentiments de justice implique une posture nouvelle des magistrats et des avocats, mais aussi, une nouvelle posture des auxiliaires de justice, notamment de l’expert.

Pour poser concrètement la problématique, trois situations concrètes  :

-Une médiation judiciaire concerne deux sœurs qui ont créé une SCI, constituée d’un immeuble , elles n’arrivent pas à la liquider pour des motifs essentiellement relationnels.

Lors de la première séance, les avocats et les personnes ont décidé qu’une partie fait appel à un expert en évaluation immobilière pour donner une évaluation du bien immobilier. L’un des avocats a été chargé avec sa cliente de contacter l’expert.

Au cours de la seconde séance, les avocats et les personnes constatent que l’expert, pour donner la valeur de ce bien, s’est contenté de travailler sur les documents qui lui ont été soumis et n’a, en aucun cas, entendu les deux sœurs, séparément ou ensemble.

Autant dire que la sœur dont l’avocat n’avait pas été à l’origine de la saisine de l’expert a « matraqué » le rapport d’expertise.

Cette expertise démontre, à l’évidence, que si l’expert souhaite que son rapport soit accepté et bien vécu par tous, il lui appartient, non seulement d’être un bon technicien, mais aussi un humaniste respectueux des personnes et du contradictoire.

-Deuxième situation: une médiation médicale judiciaire entre un employeur (plutôt sa compagnie d’assurance) et une salariée victime d’un accident du travail.

Une procédure judiciaire est engagée par la salariée pour l’évaluation de son préjudice.

La victime qui s’est rendue à l’expertise soutient que celle-ci s’est déroulée entre l’expert judiciaire et l’expert de la compagnie d’assurances, et qu’elle-même n’a, à aucun moment, eu le droit de s’exprimer sur ses souffrances et sur les circonstances de son accident.

En médiation, l’expertise judiciaire a été mise à mal par la victime et son conseil.

-Dernière situation qui est un vécu personnel. J’ai été victime non responsable d’un accident de la circulation, un camion a simplement oublié de respecter ma priorité ! Dégâts matériels importants, le véhicule roulant encore toutefois après le choc très violent. Une mission d’expertise amiable est ordonnée par ma Compagnie d’assurances.

L’expert arrive avec sa tablette. Pas de réponse à mon bonjour.

J’ai essayé d’engager un début de conversation. Rien, si ce n’est, à la fin de sa mission pour me dire que je recevrai le résultat de l’expertise par ma compagnie d’assurance. L’expert avait à l’évidence le sens du dialogue avec sa tablette ! j’ai réellement eu le sentiment de vivre un moment inhumanisé et d’être face à un robot qui met les données en boite de laquelle sortira une solution.

Depuis quelques années, les magistrats ont pris conscience du fait que dire seulement le droit pour le Juge n’est pas suffisant.

En effet, l’acte de juger ne se résume pas à dire le droit, et la décision du juge, ainsi que le souligne le philosophe Jacques DERRIDA, doit non seulement suivre une règle de droit, mais également l’interpréter et l’adapter à chaque situation qui lui est soumise, au travers du conflit.

De même, les experts doivent prendre conscience que donner seulement une réponse technique n’est pas suffisant.

En effet, la mission de l’Expert ne peut pas/ne doit pas se résumer à un seul avis technique.

Dans la plupart des situations en effet, la stricte application du droit et la rigoureuse réponse technique ne sont pas satisfaisantes, le droit et la technique sont, par essence insuffisants :

  • parce qu’ils ne résolvent pas les enjeux du litige, qui ne sont pas toujours exprimés, ni même apparents, dans le débat judiciaire, 
  • parce qu’ils ne sont pas équitables,

    ou,
  • parce qu’en réalité, ils auront des conséquences dommageables.

A cet égard, il est important de réfléchir à trois notions, dans le contentieux judiciaire :

I – Les notions de – différend – de litige et – de conflit :

Les propos d’Anne Bérard, Présidente de Chambre à la Cour d’Appel de Paris,  démontrent l’importance de différencier ces trois notions:

« Faire de bons jugements, bien motivés, ce n’est pas forcément rendre une bonne Justice. Traiter le litige, ce n’est que traiter la surface des choses, c’est confondre le litige avec le conflit. Or, le conflit ne s’éteint pas avec le litige. La Justice ne fait œuvre utile que lorsque les parties elles-mêmes parviennent à régler ensemble leur différend. C’est tout l’apport essentiel de la médiation dans le processus judiciaire ».

En paraphrasant cette Collègue, il est possible d’affirmer que :

« Faire de bonnes expertises techniques, bien motivés, ce n’est pas forcément, bien exécuter la mission d’expertise. Traiter le litige, sur lequel est donné un avis technique, ce n’est que traiter la surface des choses, c’est confondre le litige avec le conflit. Or, le conflit ne s’éteint pas avec le litige. L’expert ne fait œuvre utile que lorsqu’il arrive à faire en sorte que les parties elles-mêmes parviennent à régler ensemble leur différend. » 

Il est primordial, en effet, et essentiel, dans un différend entre des parties, de bien faire la différence entre :

  • D’une part, le conflit,
    Et, 
  • D’autre part, le litige.

Le conflit est une violente opposition de sentiments, d’opinions, d’intérêts entre au moins deux personnes ou deux groupes de personnes. Il s’agit d’une situation résultant notamment de motivations et/ou d’objectifs plus ou moins mutuellement incompatibles.

Le litige est la problématique soumise au Juge et à l’Expert. C’est une contestation, tant technique que juridique, donnant lieu à procès. 

Le conflit correspond à tout ce qui est autour et sous le litige. Il est caractérisé par « les non-dits » entre les personnes, les silences, les malentendus, les incompréhensions, les mensonges, les torts, les griefs, la souffrance, la blessure narcissique, le vécu passé plus ou moins difficile etc… Le conflit est représenté par tout ce qui oppose les personnes et qui est souvent caché.

Comme le dit Claire Denis, médiatrice :

« Le litige est une traduction du conflit sur la scène judiciaire, il va y être épuré de sa subjectivité pour y être objectivé. A trop se centrer sur le litige, le conflit pourrait rester « tapi » dans l’ombre ».

La Justice traditionnelle règle des litiges, en apportant des réponses de l’extérieur, sans pour autant résoudre les conflits de l’intérieur.

En effet, une décision judiciaire apporte une solution au litige, mais si elle donne un cadre juridique, elle règle rarement le conflit, et celui-ci, s’il n’est pas travaillé dans un espace de parole, va polluer l’exécution de la décision.

De même, une expertise apporte une réponse technique au litige, mais elle règle rarement le conflit, et de même, celui-ci, s’il n’est pas travaillé dans un espace de parole, va polluer la compréhension et l’application de l’expertise.

Force est de constater que l’Expert et le Judiciaire traditionnel ne s’intéressent, trop souvent, qu’au litige, ils y apportent une réponse technique, et une réponse juridique sans traiter le conflit.

Ils commencent par la fin du différend, à savoir le litige, et ce, alors que pour qu’une expertise soit bien comprise par les personnes et qu’une décision judiciaire soit bien appliquée et pérenne, c’est l’inverse qu’il est nécessaire de faire, penser à travailler le conflit, avant de trouver une solution technique et une réponse juridique.

L’Expert et le Judiciaire traditionnels prennent les choses à l’envers.

C’est comme si :

  • Un architecte commençait à construire une maison par la toiture, sans penser aux fondations,
  • Un chirurgien commençait à opérer sans faire un diagnostic pré opératoire.

Il est fondamental de comprendre que, dans un différend, l’avocat, l’expert et le juge ne peuvent pas faire fi du conflit.

Attention, il ne s’agit pas de supprimer le conflit, le conflit étant en lui-même quelque chose de positif, mais il faut le travailler, ne pas le laisser en l’état, et ne pas faire en sorte qu’il soit mis sous cloche.

Deux exemples concrets pour bien comprendre la distinction à faire dans un différend, entre conflit et litige:

-en matière de construction :

Un litige qui oppose un particulier à un constructeur de maisons individuelles. 

D’un côté, un particulier qui a mis toutes ses économies, qui s’est endetté pour faire construire. Il reçoit un immeuble qui n’est pas conforme à ce qu’il attendait, affecté de malfaçons. 

De l’autre côté, un constructeur de maisons individuelles qui souhaite conserver une bonne image de marque, et qui ne souhaite pas que ce client lui fasse une mauvaise réputation dans la région.

Dans ce type de litige, il convient d’abord de travailler le conflit.

Si l’expert se contente de donner un avis technique, il n’aura rempli qu’une partie de sa mission.

Le rôle de l’expert sera en effet de permettre aux parties de s’entendre, peut – être de se comprendre, de travailler sur la charge émotionnelle, voire passionnelle, très forte pouvant exister de la part du propriétaire.

L’ expert aura pour mission, dans un second temps, de travailler avec les parties, les points de convergence et de leur permettre de rechercher des solutions aux points de divergence.

-en matière de succession :

Une mère décède laissant pour lui succéder son mari en secondes noces, et les deux enfants d’une première union qui ont rompu tout lien avec elle depuis plus de 30 ans, après son remariage, après la mort de leur père.

Il existe un patrimoine très important.

En vertu de la donation réciproque entre les époux, le second mari se trouve en indivision avec les enfants du premier lit. La situation est très conflictuelle.

De nombreuses procédures existent concernant notamment une villa dont les enfants sont nus propriétaires et les conjoints usufruitiers.

L’expert missionné, s’il veut que son expertise soit bien appréciée et comprise par les personnes ne pourra pas se contenter de donner un avis technique. Il sera nécessaire qu’il entre dans le conflit familial, qu’il soit à l’écoute des personnes et que l’expertise soit, à tout moment, contradictoire.

S’il agit ainsi, l’expertise sera acceptée , sans difficultés, par les parties.

S’il se contente de donner un avis technique, son expertise, aussi bien travaillée soit elle, sera contestée.

Ces deux exemples démontrent qu’ :

Il ne suffit pas de travailler en expertise, et quelle que soit la spécialité de l’expert, «  la surface des choses », mais il est essentiel de réfléchir à « l’intérieur des choses ».

Il est fondamental de travailler la souffrance des personnes, les non-dits, l’abcès du conflit et de penser à des solutions adaptées.

II – l’expert ne peut être ni un conciliateur ni un médiateur

L’article 240 du code de procédure civile est formel et il est toujours d’actualité :

 « le Juge ne peut donner au technicien mission de concilier les parties ».

En effet, cette mission appartient au Juge en vertu de l’article 21 du code de procédure civile :

  • « il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».

Mais comme le rappelle l’article 128 du code de procédure civile :

« les parties peuvent se concilier, d’elles-mêmes ou à l’initiative du juge, tout au long de l’instance ».

Et, il vrai que les parties pourront, et cela arrive souvent, trouver dans le cadre de l’expertise ordonnée par le juge, l’occasion de se rapprocher, nécessairement par l’effet des réunions d’expertise dans le cadre du contradictoire et des constats techniques qui peuvent recentrer sur les enjeux du litige, au point que nombre d’experts affirment qu’une partie de leur mission aboutit, en fait, à favoriser la conciliation et leur donne une posture idéale, mais non reconnue de conciliateur, voire de médiateur.

Si l’office de l’Expert est de donner un avis technique sur les aspects factuels d’un litige, il n’en demeure pas moins que cet avis peut contribuer à rapprocher les parties.

La Commission Magendie, dans le cadre du rapport sur « la célérité et la qualité de la Justice », a rappelé que « l’expertise est souvent un moment privilégié pour parvenir à un accord entre les parties ».

C’est le sens de l’article 281 du code de procédure civile qui dispose que :

« si les parties parviennent à se concilier, l’expert constate que sa mission est devenue sans objet et il en fait rapport au juge. Les parties peuvent alors demander au juge de donner force exécutoire à l’acte exprimant leur accord ».

Rappelons aussi, l’article 384 du code de procédure civile qui dispose notamment que :

« il appartient notamment au juge de donner force exécutoire à l’acte constatant l’accord des parties, que celui-ci intervienne devant lui ou ait été conclu hors sa présence ».

Et il est certain que l’expert a probablement fortement contribué à la mise en place dudit accord.

Il est important de rappeler que :

– l’interdiction de donner à l’expert la mission de concilier les parties n’a pas pour effet de frapper de nullité l’accord transactionnel intervenu entre elles, sans initiative de l’expert,

-si le juge ne peut donner à l’expert mission de concilier les parties, l’expert peut constater l’accord intervenu entre celles-ci et son avis.

D’ailleurs, le pouvoir réglementaire a envisagé la possibilité pour les parties de se concilier dans le cadre de la procédure participative, puisque les parties peuvent, par acte contresigné par avocats, désigner un expert, un conciliateur ou un médiateur.

Toutefois, dans le cadre d’une réponse à un parlementaire le 22 février 2018, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice insiste sur le fait que :

« au regard des finalités distinctes de l’expertise et de la médiation judiciaire et des réformes récentes tendant à accroitre le recours à la médiation, il n’apparaît pas opportun de confier à l’expert judiciaire la mission de concilier les parties. Le droit positif, dans la mesure où il prend en compte les accords éventuellement intervenus en cours d’expertise ou dans le cadre d’une convention de procédure participative, apparaît davantage approprié, tant aux besoins de la mise en état du litige que de l’encouragement amiable de celui-ci ».

En outre, l’article 131- 8 du code de procédure civile précise que :

« le médiateur ne dispose pas de pouvoirs d’instruction. Toutefois, il peut, avec l’accord des parties, et pour les besoins de la médiation, entendre les tiers qui y consentent.

Le médiateur ne peut être commis, au cours de la même instance, pour effectuer une mesure d’instruction ».

Malgré tout, nul ne peut ignorer la contradiction formelle existant entre l’interdiction du cumul de la fonction de médiateur et d’expert visée à cet article et l’article R 621-1 du code de la justice administrative prévoyant un expert médiateur dans une même affaire :

« La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L’expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l’initiative, avec l’accord des parties, d’une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l’article L. 213-2, l’expert remet son rapport d’expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation ».

Il est symptomatique de noter, en effet, que le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification de la partie réglementaire du Code de la Justice administrative donne la possibilité au juge administratif de confier à l’expert une mission de médiation, l’expert pouvant en prendre, même seul, l’initiative, avec l’accord des parties.

La question se pose de savoir pour quelles raisons la loi traite – t – elle différemment l’expert de justice administrative et l’expert de justice judiciaire ?

III – une symbiose nécessaire 

Il est fondamental de partir du postulat suivant :

«  l’expert est et doit être un facilitateur du rapprochement des parties ».

D’ailleurs, nombres de décisions judiciaires donnent à la fin de la mission de l’expert l’objectif suivant  :

 « donner tous éléments de nature à solutionner le litige ».

Il convient de réfléchir, de manière à favoriser l’aboutissement d’une solution amiable : 

  •  Au positionnement de l’expert,
  •  Et,
  •  Aux outils dont il dispose. 

A – Le positionnement de l’expert – les différents cas de figure :

1 – l’expert, appelé par les parties et leurs conseils, comme tiers sachant, dans un processus de médiation conventionnelle ou judiciaire ou dans un processus de convention participative.

Dans ce cadre, son intervention sera encadrée par une convention conclue avec les parties qui décideront du délai, de la forme du rapport oral ou écrit, de sa confidentialité ou non et de sa rémunération.

2 – l’expert qui intervient dans le cadre d’une expertise judiciaire et qui donne son avis technique et factuel, notamment sur les causes, les imputabilités et les dommages.

L’expert pourra, tel un conciliateur ou un médiateur, inviter à réfléchir sur une éventuelle solution amiable.

C’est ainsi que par le passé, quand j’ordonnais une expertise familiale, il était entendu avec l’expert pédo psychiatre qu’à la fin de sa mission, il entendrait les parents ensemble pour leur faire part de ses conclusions et réfléchir avec eux à la suite à donner au conflit parental, de manière à faciliter le travail du Juge .

Dans ce cadre, se posera toutefois la question de la confidentialité du processus de conciliation ou de médiation :

  • Soit, les parties dument informées y renonceront,
  • Soit, elles organiseront les discussions dans un cadre confidentiel.

3 – l’expert peut aussi être l’initiateur d’une médiation.

Il est établi que sauf en matière administrative,  l’expert ne peut pas être médiateur dans une même affaire sans transgresser les principes de neutralité et de confidentialité du processus de médiation.

Le code de procédure civile n’interdit pas toutefois à l’expert d’être l’initiateur d’une médiation.

L’expert peut, en effet, percevoir le moment de l’expertise où il pourra suggérer aux parties une conciliation, ou une mesure de médiation avec un tiers neutre, lequel d’ailleurs, pourrait être un autre expert, sous réserve qu’il s’agisse d’un médiateur qualifié et formé.

Il est vrai que, pour appréhender ce processus de médiation, une information et une formation pour l’expert s’imposent, avec notamment une ouverture aux techniques et à la pratique des modes amiables, permettant de déterminer le bon moment, la meilleure voie possible tout en évitant la confusion entre chaque processus.

L’expert, formée à la médiation, saura :

  •  si la mise en œuvre de la solution technique préconisée est suffisante pour clôturer le litige,

    Ou,
  • Si le différend dépasse le seul aspect technique et mérite une mesure de médiation.

A ce sujet, un exemple éclairant : Monsieur Frédéric PERNON, Vice – Président de la Compagnie des Experts de Justice près la Cour d’Appel de Nîmes a conseillé, en sa qualité d’Expert, un client qui l’avait saisi à l’amiable, après avoir évalué l’enclavement de sa propriété , de faire appel à un médiateur pour tenter un rapprochement avec les riverains.

B- les outils mis à la disposition de l’Expert pour favoriser un règlement amiable 

Un psychologue proche à qui je parlais de cette idée d’un Expert , pas seulement technicien, mais aussi pacificateur, m’a dit :

« Penses – tu qu’un expert ait les compétences pour travailler l’émotionnel ? ».

Je lui ai répondu qu’ a priori, sauf exception, il ne les a pas. Mais que ces compétences s’acquièrent et que l’acquisition de ces compétences seraient profitables, tant à l’Expert, qu’aux personnes et à la Justice.

Je citerai les trois principaux outils suivants :

  • La communication non violente :

Mettre en place dans l’expertise, comme c’est le cas en médiation, une manière de communiquer non agressive, apaisante.

Permettre à chacun de déposer les armes et à chacun de s’exprimer tout en se respectant, même s’il n’est pas du même avis.

  • L’écoute empathique ou écoute active :

 « parler est un besoin, écouter est un art » Goethe.

En médiation, chacune des personnes écoute l’autre sans lui couper la parole, en laissant de côté ses propres valeurs, croyances et besoins.

En médiation, nombre de personnes sont étonnées de pouvoir enfin s’exprimer personnellement sur leur contentieux.

Les propos de l’écrivaine Sandra Labastie, dans son livre « les papillons rêvent – ils d’éternité » sont significatifs :

« J’aime beaucoup les mots. Il y en a qui font mal mais il y en a qui soignent, parfois, ce sont les mêmes. Cela dépend comment on s’en sert.

C’est un peu comme le poison qui sert à faire des médicaments ».

  • La reformulation dite clarification :

La reformulation permet de solliciter des précisions auprès de la personne qui s’exprime.

Le professionnel qui reformule doit partir de ce qu’il a perçu au-delà du discours de la personne , afin de lui permettre de s’épancher en clarifiant ou en précisant ses propos.

La pratique de la reformulation nécessite un réel entraînement quotidien, car ce n’est pas une habitude maîtrisée habituellement, en écoutant son interlocuteur.

Conclusion

Comme pour le Magistrat, dans le cadre de sa mission, l’Expert doit donner la première place, non pas à sa technicité, mais à l’humanisme, au dialogue démocratique et au respect et à l’écoute des personnes.

Les magistrats et les avocats doivent toujours faire le lien entre le droit et l’humanisme.

De même, l’expérience démontre que pour l’ Expert, humanisme et compétences techniques doivent être en symbiose, avec pour objectifs principaux, comme le législateur et le pouvoir réglementaire le demandent, que les parties, avec le soutien et l’accompagnement de leurs avocats, arrivent à s’emparer de leur différend et à le solutionner par elles-mêmes.

A la suite de cette pandémie, l’immense majorité des acteurs de la Justice pensent qu’il est fondamental de réfléchir à une nouvelle Justice civile, sociale, commerciale, et bien sûr familiale.

Des murs infranchissables , il y a quelques mois, sont tombés, sous les coups de boutoir de la crise, comme si celle-ci avait eu un effet d’ accélération sur de trop lentes évolutions.

Il est fondamental que les professionnels de la Justice essaient de réfléchir à l’ évolution de l’expertise , qui sera toujours indispensable pour éclairer les parties, les avocats et les Juges.

Cette réflexion doit intégrer l’application des modes amiables de règlement des différends.

Même si cela dérange certains, il ne faut pas oublier que la volonté première du législateur est de faire en sorte que les acteurs judiciaires pensent MARDS avant toute autre voie, et que les acteurs judiciaires doivent appliquer la loi, dans l’intérêt des justiciables. 

En résumé, l’Expert devrait être un obstétricien, et il l’est souvent :

Un obstétricien est un spécialiste de la grossesse, un spécialiste de l’accouchement et un spécialiste des suites de couches.

De même, l’Expert doit être non seulement un excellent technicien dans sa spécialité, donnant des réponses au litige, mais il doit être aussi l’accueillant du conflit, l’aidant et le soutenant des personnes à la compréhension et à une bonne adhésion des mesures à prendre.

En réalité, pour nombre d’expertises ordonnées par les juridictions, c’est ce qui se passe, puisque avec le soutien des avocats, nombre d’expertises permettent aux parties d’être une base de discussion, une base de négociation, et de ne pas franchir le judiciaire sur le fond. 

C’est ainsi que dans nombre de juridictions, l’on peut constater, en moyenne qu’ un tiers seulement des expertises ordonnées s’acheminent vers le Juge du fond pour qu’il soit statuer sur le différend. L’expertise permet très souvent d’engager une discussion entre les parties et leurs avocats et de trouver des solutions amiables.

Penser à une Expertise humaniste doit devenir une évidence.

Il convient de se convaincre qu’à partir du moment où l’Expert établit un dialogue entre les personnes, les respectent, un grand pas est fait pour trouver des solutions satisfaisantes et équitables pour elles, ou à tout le moins pour que les résultats de l’expertise soient mieux acceptés, mieux vécues et mieux appliquées.

Nîmes le 22 mars 2022

Marc JUSTON
Magistrat honoraire
Médiateur – Formateur
Marc.juston@hotmail.com
Tél 0624481116
20 rue Fénelon
30 000 Nîmes

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