A LA DECOUVERTE DES MARD – LE POINT DE VUE DU JUGE DANS L’EVOLUTION DU SYSTEME JUDICIAIRE

Reposant sur la restauration du lien, du dialogue et de la communication entre les parties, la médiation favorise l’apaisement et garantit la pérennité de la relation, ce qui est très important, notamment dans la vie des affaires, mais aussi en matière de litiges de proximité et familiaux. Elle est, au XXIème siècle,  un outil indispensable du juge et peut trouver toute sa mesure, non seulement dans le contentieux familial où elle est désormais plus couramment acceptée, mais également dans les contentieux civils, sociaux, commerciaux ou administratifs.

En France, la médiation judiciaire est inscrite dans la loi depuis 1995.

Elle demeure d’un usage trop rare – seulement 1 % des modes de résolution des litiges dont l’ensemble des juridictions sont saisies – et reste en partie soumise à l’initiative de quelques-uns qui, au sein de leur service ou de leur chambre, en assurent la promotion.

Ce n’est pas faute, pourtant que la médiation judiciaire fasse parler d’elle. De nombreux articles et ouvrages de professeurs et de praticiens lui sont consacrés, mais aussi des rapports tout à fait importants, ainsi que des conférences et des colloques.

Il existe de :

Nombreux obstacles et de réelles réticences à son développement :

La culture judiciaire est une culture de l’affrontement entretenue par les professionnels de la justice qui s’approprient « l’affaire » des parties, « adversaires » appelés à se battre dans « l’arène judiciaire » avec les « armes » de la procédure et du droit.

Dubitatifs et méfiants, les magistrats craignent un abandon de leurs prérogatives,  et les avocats une concurrence inquiétante. L’offre de médiation demeure opaque et les acteurs concernés se méconnaissent souvent. Les initiatives locales nécessitent un investissement significatif des quelques magistrats, greffiers, avocats et médiateurs qui y participent, et reposent trop souvent sur leur seul engagement individuel, sans parvenir à s’inscrire durablement dans le projet et les pratiques des juridictions concernées, de telle sorte que ces initiatives s’épuisent rapidement après leur départ. Enfin, ces initiatives locales, multiples et différentes, ne sont ni vraiment coordonnées, ni vraiment évaluées au plan national ou régional, et elles ne s’inscrivent pas dans une politique publique suffisamment cohérente et déterminée, de nature à permettre à tous les justiciables, y compris les plus modestes, d’en bénéficier.

Ce constat impose donc absolument de :

Définir des pistes d’action pour améliorer le recours à la médiation judiciaire, d’en élaborer une véritable stratégie de développement.

En premier lieu, il convient que :

le processus de médiation soit clairement identifié par rapport aux autres modes alternatifs de règlement des litiges :

  •  la conciliation,
  •  la transaction
  •  et la procédure participative ;

 auxquelles la loi J21 du 18 novembre 2016 ouvre d’ailleurs de réelles perspectives de développement (tentative de conciliation obligatoire devant un conciliateur de justice en cas de déclaration au greffe devant un tribunal d’instance pour toutes les demandes inférieures à 4.000 euros – possibilité de mettre en place une procédure participative assistée par avocat même après la saisine d’un juge, toilettage du régime juridique de la transaction).

Le caractère bénévole de la conciliation séduit évidemment  au point que dans l’esprit de certains, elle puisse se substituer à la médiation. En réalité,  au contraire, elles ne peuvent pas être confondues à raison d’un positionnement différent du tiers interposé. En effet, le médiateur se concentre, dans la neutralité, sur le rétablissement de l’écoute et du dialogue entre les parties pour leur permettre de rechercher elles-mêmes la solution de leur litige. Tandis que le conciliateur s’emploie plutôt à aider les parties en leur proposant lui-même une solution dans le souci qu’elles y adhèrent et se l’approprient progressivement.

Les objectifs de la Médiation :

La justice est culturellement orientée vers une solution du litige civil imposée par le juge et préparé par l’avocat. Le préalable de la médiation est celui d’un véritable retournement culturel : la meilleure décision est celle des parties à l’instance.

La médiation est une mesure rapide et économique : les délais et les coûts de la mesure sont réduits par rapport aux délais et aux coûts habituels du procès.

Il s’agit d’une mesure contradictoire : avec l’aide du médiateur qui dépassionne le conflit, chaque partie s’implique personnellement dans le processus pour apprécier de manière plus objective la solidité des arguments en présence, analyser ses chances de succès et celles de la partie adverse, et avoir une vision plus neutre des points d’accord possible.

C’est une mesure pragmatique : la médiation permet aux parties de se réapproprier la gestion de leur conflit en définissant elles-mêmes parmi différentes solutions celle à y apporter pour parvenir à un accord durable. Elles échappent ainsi non seulement aux aléas de délais et de coûts, mais également à l’aléa judiciaire.

C’est une solution efficace : au contraire du procès au coeur duquel le juge est contraint par l’objet du litige, déterminé par les prétentions des parties, et ne peut se prononcer que sur ce qui est demandé sans pouvoir fonder sa décision sur autre chose que les faits qui sont dans le débat, la médiation peut aller au-delà des strictes solutions juridiques du cas litigieux et déboucher parfois sur un accord global qui sauvegarde les relations futures des parties sans “gagnant” ni “perdant”.

Enfin, c’est une mesure confidentielle : la médiation présente un atout majeur en ce qu’elle permet aux parties de résoudre leur différend dans le secret, en dehors de toute publicité judiciaire comme médiatique. En cas d’échec, rien de ce qui a été dit lors de la médiation ne peut être évoqué ensuite dans le procès. Cela confère évidemment aux parties une liberté totale d’expression de proposition durant la médiation.

Mais, ne serait-ce que pour ne pas être pris au dépourvu par les inévitables atermoiements des sceptiques et les réticences des opposants, nous devons aussi être avertis des critiques ou des craintes exprimées :

Gagner du temps et se prémunir de l’aléa judiciaire – même dans un dossier qui paraît gagné d’avance – c’est appréciable pour une partie avisée. Mais une autre peut avoir un fort intérêt – ou croire en avoir un – à des tactiques dilatoires pour empêcher une solution rapide. Et celle-là, ne sera-t-elle pas tentée d’utiliser la médiation elle-même, en la faisant volontairement échouer pour retarder davantage l’issue du litige ?

Cette crainte n’est pas illégitime, mais  la structuration du processus dynamique de médiation permet de s’assurer de la sincérité des parties dans la recherche d’un accord.

La sagesse de la procédure de médiation repose en effet sur cet équilibre subtil du temps consenti aux parties pour rechercher un accord et du terme fixé par la loi qui prévoit une durée de la mesure strictement limitée, qui n’est renouvelable qu’à la demande du médiateur, et sous le contrôle du juge, afin de prévenir le risque dilatoire et de ne pas retarder le procès qui s’avère inévitable.

En outre, pour éviter les dérives dilatoires éventuelles, rien n’empêche de favoriser une mise au rôle prioritaire des affaires ayant fait l’objet d’une acceptation de médiation quand celle-ci a échoué ou n’a permis qu’un accord partiel.

On soupçonne aussi parfois que la médiation sera détournée de sa finalité et ne servira qu’à permettre à l’adversaire de tester son argumentation et de mesurer la pertinence de ses moyens de preuve. Mais puisque chaque partie peut ainsi réciproquement confronter les forces et les faiblesses de ses positions aux positions opposées, cette inquiétude doit être relativisée.

Assuré des avantages de principe de la médiation, le juge doit l’être aussi de son opportunité  in concreto, dans le cas particulier qui lui est soumis.

Comment penser que ceux-là même qui viennent en découdre peuvent se focaliser sur la recherche d’un accord par eux-mêmes ?

Parfois, enfermés dans leur conflit personnel depuis tellement longtemps, les parties réalisent à quel point ce conflit les atteint et les fragilise et ils souhaitent secrètement au fond d’eux-mêmes cette démarche de restauration. Parfois, conscients du risque qu’en affaires, même à gagner, on peut perdre, les parties espèrent, en réalité, être aidées à trouver la solution raisonnable qui préservera finalement mieux leurs intérêts.

Souvent, alors qu’ils ont passé des semaines, des mois, parfois des années à peaufiner leurs moyens et leurs prétentions, il ne leur est pas facile d’exprimer ce sentiment ou ce choix, qui peut apparaître comme un renoncement, encore moins de faire le premier pas, qui peut apparaître comme un aveu de faiblesse. Et c’est bien alors l’initiative volontariste du juge qui les libérera.

Pourquoi ceux-là qui sont à la recherche de clarté juridique dans l’issue de leur litige accepteraient-ils une démarche qui peut paraître ne pas offrir cette clarté ?

Sans doute, dans nombre de litiges, les parties sentent au moins confusément que dans sa rectitude, sa rigueur, la règle de droit tranchera sûrement, mais n’apaisera peut-être pas.

Est-il seulement raisonnable d’envisager une médiation judiciaire au cours de l’instance au fond, alors que les parties se sont déjà opposées en référé ? En cause d’appel, alors que la décision des premiers juges a déjà cristallisé leur situation conflictuelle ? Après cassation même, alors que le débat juridique est à son apogée ?

C’est à bon escient que la loi a prévu que la médiation judiciaire pouvait être ordonnée à tous les stades de la procédure. Selon la formule célèbre : “il faut du temps au temps”. Et si de manière générale, l’avancement du procès, le franchissement successif des différents degrés de juridiction, éloignent davantage les parties de la recherche d’un accord, leur lassitude peut quelque fois au contraire ouvrir une brèche favorable au rapprochement proposé.

Le récent décret de réforme de la procédure d’appel favorise le recours à la médiation au second degré de juridiction. Il ajoute en effet au code de procédure civile un article 910-2 qui dispose que “la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur.”

En conséquence, les avantages de la médiation judiciaire sont indéniables.

 Mais cela ne suffit pas.

Il faut encore former les magistrats à la technique d’une solution négociée du conflit.

La formation des magistrats, qu’elle soit initiale ou continue, nationale ou déconcentrée en région, doit avoir pour objectif premier de convaincre les juges qu’ordonner une médiation est un véritable acte de justice

Il s’agit bien de convaincre que la médiation ne prive pas les parties de l’accès au juge qui l’ordonne, en fixe les modalités, en contrôle le déroulement, et en tire les conséquences selon que les parties sont ou non parvenues à un accord total ou partiel et qu’en la prescrivant, le juge ne renonce aucunement à l’exercice de son pouvoir juridictionnel.

La formation doit être adaptée pour préparer les magistrats au fort investissement personnel et aux approches différentes qu’exige la pratique de la médiation.

Prendre l’initiative de proposer une médiation nécessite en effet du juge une approche procédurale et personnelle différentes. Il lui faut entrer dans la motivation profonde des parties au litige, créer un climat relationnel propice au dialogue, savoir poser les bonnes questions et faire preuve d’une réelle disponibilité.

Le juge doit apprendre à mieux écouter, et à se mettre en quelque sorte à la place des parties. 

Ces techniques exigent d’autres qualités que celles qui permettent de dire le droit et de trancher le litige. C’est pourquoi un réel apprentissage doit être entrepris car si le juge ne concilie pas nécessairement lui-même et s’il n’est pas médiateur, il doit connaître suffisamment les techniques mises en œuvre pour orienter les parties avec pertinence et efficacité vers une solution négociée. 

Déjà, la procédure de conciliation conduit le juge à proposer une issue qu’il va tenter de faire accepter par une démarche pédagogique personnelle ou déléguée au conciliateur d’écoute et d’autorité.

Mais la procédure de médiation exige davantage encore puisque le juge doit conduire les parties à adhérer à la désignation du médiateur et au processus d’élaboration de la solution par elles même. 

La formation a donc un rôle essentiel pour donner aux magistrats, et bien sûr aussi aux greffiers qui les assistent, les outils dont ils ont besoin pour développer la médiation judiciaire.

S’il est ainsi absolument indispensable que les magistrats et les greffiers soient convaincus et rompus à la médiation judiciaire, il faut aussi que les avocats, qui sont en étroite et permanente relation avec les justiciables, soient en mesure d’encourager leurs clients à s’engager dans cette voie et à tout le moins, ne s’opposent pas à l’initiative prise par le juge en ce sens. 

La médiation judiciaire ne se développera pas contre les avocats, et même : rien ne se fera sans eux !

Il ne s’agit pas seulement qu’ils soient d’une neutralité bienveillante.

Ils doivent être les moteurs de la démarche en aidant le juge à vaincre les objections et les hésitations de leurs clients et en jouant un rôle tout à fait actif dans le déroulement et le contenu de la mesure.

La formation des avocats est donc essentielle, qui doivent eux-aussi être convaincus que l’intérêt de leur client est de s’orienter vers une solution négociée, qui sera plus rapide, plus efficace, plus économique, et finalement meilleure, mais aussi que le dossier traité plus rapidement leur sera à tous points de vue d’un meilleur rapport. Au contraire de ce que pensent certains, en matière de médiation judiciaire l’intérêt de l’avocat rejoint vraiment celui de son client.

On suspecte facilement l’avocat d’attiser le conflit auquel il aurait un intérêt trivial. Souvent l’avocat lui-même croit avoir meilleur intérêt au procès au cours duquel il donnera la pleine mesure de son art. 

Et parfois, quand il a lui-même déjà mené des négociations avec le conseil de la partie adverse sans parvenir à une juste transaction, il considère qu’il est vain de prétendre les poursuivre ou les reprendre dans l’espoir d’un maigre compromis.

C’est pour cela que dans la majorité des cas, au moins au départ, le juge devra choisir la comparution personnelle des parties pour leur proposer directement  la médiation dont il entend prendre l’initiative. 

Une fois qu’elles l’auront acceptée, le rôle de leurs avocats sera tout à fait essentiel :

Les qualités humaines et les compétences juridiques de l’avocat peuvent largement contribuer à la réussite de la médiation. La médiation ne peut réussir qu’à la condition que les parties n’exacerbent pas le conflit. L’avocat doit donc être en mesure de tempérer les comportements de son client pour modérer ses excès, voir réduire son agressivité,  en tout cas encourager son écoute et sa patience.  

Mais surtout, la médiation ne peut réussir qu’à la double condition de prendre en compte les exigences respectives des parties et de favoriser leurs concessions réciproques. L’avocat doit donc être en mesure de conseiller son client sur la légitimité, la justesse et finalement l’équilibre et la raison dans les exigences maintenues – sans surenchère de dernière minute – et les concessions acceptées – librement et intelligemment.

La formation des acteurs concernés est essentielle, mais évidemment d’autres actions institutionnelles doivent être entreprises pour favoriser le développement de la médiation judiciaire.

La médiation induit une méthodologie spécifique de mise en œuvre :

  •  choix des contentieux,
  •  sélection des procédures, 
  •  information donnée aux parties,
  •  détermination du moment privilégié pour la proposer,
  •  désignation du médiateur…

Les magistrats, les greffiers, les avocats et les médiateurs doivent être associés à la construction de ces outils méthodologiques pour qu’ils soient reconnus et partagés. Ce travail de construction collective doit être structuré pour être efficient et pérenne. C’est le rôle du magistrat référent et de l’unité régionale de médiation qu’il a vocation à animer.

Beaucoup de contentieux en matière civile, en matière familiale, en matière commerciale et en matière sociale sont éligibles à la médiation judiciaire.

En revanche, il est évident que toutes les procédures n’ont pas vocation à une solution par le biais des Mard. Dès lors, quand on souhaite développer la médiation judiciaire dans un service ou dans une chambre, il convient d’y mettre en place une cellule de médiation qui, dès après l’enregistrement de la procédure par le greffe, va procéder à la sélection des affaires dans lesquelles une médiation judiciaire doit être initiée. 

Elle pourra être envisagée :

  •  Soit, d’emblée, selon le système de la double convocation permettant que les parties assistent à une réunion d’information sur la médiation,
  •  Soit, à une audience fixée à bref délai au cours de laquelle le juge proposera la mesure, là-encore éventuellement après information s’il existe un médiateur de permanence.

Il est essentiel aussi que les critères de sélection des affaires éligibles à la médiation judiciaire soient précisément établis.

Plusieurs critères peuvent être retenus [qui seront illustrés de quelques exemples réels] :

Le premier tient à l’intérêt qu’ont les parties, malgré le procès, à rétablir ou préserver des relations entre elles, qu’il s’agisse de relations d’affaires ou de relations familiales ou de voisinage. 

Il s’agit alors de préférer la médiation judiciaire à l’instance contentieuse et à la décision imposée qui risquent au contraire d’envenimer ces relations au lieu de les apaiser.

Le second critère tient à ce qu’il apparaît que la stricte application du droit ne sera pas entièrement satisfaisante parce qu’elle ne résoudra pas les enjeux réels du litige – qui ne sont pas toujours exprimés ni même apparents dans le débat judiciaire, parce qu’elle ne sera pas équitable, ou parce qu’en réalité, elle aura des conséquences dommageables.

Le troisième critère tient à la complexité de l’affaire sur le fond ou de la procédure. Inquiètes de cette complexité, les parties peuvent se révéler attentives à une proposition de médiation qui, si elle réussit, mettra fin définitivement à l’affaire, parfois à plusieurs instances en cours, et évitera des soucis et des coûts supplémentaires.

Le quatrième critère tient à l’aléa judiciaire. Lorsqu’une partie est sûre de son droit et certaine qu’elle va gagner le procès, elle est peu encline à accepter une mesure de médiation. Mais en réalité, compte-tenu de la difficulté de la matière juridique, d’une jurisprudence évolutive et de l’appréciation souveraine des juges, celui qui est certain de l’issue du procès est bien téméraire. 

Et dès lors, les parties raisonnables préféreront la recherche d’un accord au risque sérieux de subir une décision défavorable.

Donnons quelques exemples.

  • Un concessionnaire automobile qui exploite un garage dans les murs d’une copropriété a, pour les besoins de son entreprise, modifié des canalisations passant notamment par la cave d’un copropriétaire. Celui-ci l’assigne devant le tribunal pour aggravation de la servitude de canalisation existante. Il demande la destruction des nouvelles canalisations. Les parties acceptent une mesure de médiation qui se termine par un accord homologué par le juge, aux termes duquel le concessionnaire rachète la cave dont son adversaire n’avait en réalité plus vraiment le besoin et pour un coût largement inférieur à celui de la remise des lieux en leur état antérieur.
  • Dans un petit immeuble ancien de quatre étages un ascenseur est aménagé à l’initiative d’un copropriétaire du troisième étage, syndic bénévole. Un copropriétaire du quatrième étage agit en justice au motif que l’ascenseur a été installé en violation du règlement de copropriété. Une médiation est ordonnée et permet de traiter l’origine du conflit de voisinage qui n’avait rien à voir avec l’ascenseur que le demandeur a d’ailleurs reconnu utiliser tous les jours à sa plus grande satisfaction.
  • Une mère décède laissant pour lui succéder son mari en secondes noces et les deux enfants d’une première union qui ont rompu tout lien avec elle depuis plus de trente ans, après son remariage après la mort de leur père. Il existe un patrimoine très important. En vertu de la donation réciproque entre époux que s’étaient consentie la défunte et son second mari qui lui survit, ce dernier se trouve en indivision avec les enfants du premier lit. La situation est extrêmement conflictuelle. Alors que de nombreuses procédures sont en cours devant plusieurs juridictions, une nouvelle instance est introduite aux fins d’expertise à propos de l’entretien d’une villa dont les enfants sont nu propriétaires et le conjoint survivant usufruitier. Les parties acceptent une médiation notariée qui se conclut par un partage amiable après que la mesure ait permis une rencontre entre les enfants et leur beau-père qui n’avait jamais eu lieu auparavant.]

Les magistrats qui expérimentent régulièrement la médiation pourront tous attester :

  • d’accords mettant [ainsi totalement] fin aux litiges dont ils étaient saisis, 
  • mais aussi, d’accords partiels qu’il faut également mettre au compte de la réussite de la mesure dès lors qu’ils permettent de circonscrire le procès aux chefs de demande sur lesquels les parties sont restées en litige.

Un exemple

  • Victime d’une chute dans un supermarché, le processus d’indemnisation amiable n’ayant pas abouti, une personne demande réparation de ses préjudices en justice. Une mesure de médiation est ordonnée. Le défendeur et son assureur admettent la responsabilité du magasin et les parties s’accordent sur tous les chefs de préjudices à l’exception du préjudice d’agrément. Le juge homologue leur accord et n’a plus à statuer que sur l’indemnité due à ce titre.]

Ainsi ont été déterminés les éléments essentiels d’une stratégie de développement de la médiation judiciaire efficace.

Mais il ne suffit pas que les acteurs judiciaires soient convaincus de l’intérêt de la médiation, qu’ils y soient dûment formés, et qu’un processus structuré soit mis en œuvre, pour que les parties acceptent aisément qu’un tiers soit désigné pour les aider à rechercher par elles-mêmes la solution de leur litige.

Il est encore nécessaire qu’elles puissent avoir confiance dans le médiateur désigné. L’engouement pour la médiation suscite de nombreuses vocations. Il est nécessaire qu’un cadre réglementaire offre aux justiciables les garanties déontologiques et techniques qu’ils sont en droit d’attendre d’une procédure judiciaire.

Actuellement, les juges, en dehors de la médiation familiale, pour laquelle sont désignés des médiateurs familiaux diplômés d’Etat, procèdent à la désignation de médiateurs qu’ils connaissent, dont ils ont éprouvé très empiriquement les compétences et la rigueur. Si la médiation judiciaire connaît l’essor espéré, cette méthode artisanale, déjà peu satisfaisante, ne conviendra plus du tout.

L’obligation de formation à la médiation sanctionnée par un diplôme qualifiant reconnu par l’Etat ou par des organismes agréés par lui, l’établissement de listes de Cours d’Appel, à l’instar des listes d’experts,  en application de la loi J 21, la promulgation d’un code de déontologie à l’usage des médiateurs sont autant de garanties pour que les modes amiables de règlement des litiges ne connaissent pas une extension sauvage, incompétente et mercantile, totalement en dehors du champ juridictionnel.

Il est enfin nécessaire que les parties puissent connaître le tarif, le coût et le financement de la médiation, que ce tarif, ce coût et ce financement soient transparents et adaptés

Les justiciables redoutent à juste titre les incertitudes financières de la procédure judiciaire. Les mêmes craintes ne doivent pas réapparaître pour la médiation. Selon les contentieux et les litiges les plus fréquents, il faut donc établir des barèmes indicatifs consensuels.

Ils rassureront ceux à qui la médiation est proposée et ils éviteront les risques de dérive toujours possible de la part de ceux qui la pratiquent.

Il convient de noter ici que le décret du 27 décembre 2016 portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique à insérer au décret du 19 décembre 1991 un chapitre IV bis intitulé : “De l’aide à la médiation”.

 Les nouveaux articles 118-9 à 118-12 prévoient la majoration appliquée à la rétribution de l’avocat assistant un bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partie à une médiation et celle du médiateur dès que l’une des parties à la médiation bénéficie de l’aide juridictionnelle.

La conclusion sera empruntée au premier président Marshall

« la procédure de médiation civile trouvera sa place au sein des juridictions si elle est proposée par des magistrats et des avocats convaincus de son intérêt, rompus à sa technique, et disposant de la formation et des outils méthodologiques qui en favorisent le succès. »

Elle nécessite aussi sans doute un cadre législatif et réglementaire encore renforcé.

Le décret du 11 mars 2015 relatif à la résolution amiable des différents prévoit que :

 « sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, la requête, la déclaration ou l’assignation qui saisit une juridiction précise les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».

Cette disposition participe certainement de la volonté de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, mais son caractère très général, l’imprécision des diligences exigées et surtout l’absence de nullité encourue, montre bien qu’on en est encore aux pétitions de principe, très en-deçà d’une politique publique vraiment résolument incitative. 

En certaine matière, et prioritairement en matière familiale,  des dispositifs de médiation préalable obligatoire devraient être adoptés.

D’ores-et-déjà, une loi du 18 novembre 2016 a reconduit pour 3 ans l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire en matière familiale et un arrêté du 16 mars 2017 a désigné les 11 tribunaux de grande instance désormais concernés par cette expérimentation.

En France, on enseigne comme une évidence que la médiation doit procéder d’une démarche purement volontaire.

Dans un article récemment publié, François Staechle, magistrat honoraire et médiateur,  montre que :

 « cette pétition de principe… n’a rien d’un impératif universel” et que,  “bien des pays y dérogent sans inconvénient : l’Allemagne en droit du travail…les Pays-Bas, l’Irlande, la Grèce en matière commerciale…” et que “d’autres… sans la rendre formellement obligatoire, sanctionnent le refus déraisonnable d’y procéder ”.

François Staechle expose également que :

 “les médiations rendues obligatoires par l’effet d’une clause de médiation sont un autre exemple que le caractère contraignant ne constitue pas un obstacle psychologique dirimant à la conclusion d’un accord”.

Et il ajoute :

 “Quand une partie souhaite une médiation et que l’autre s’y refuse, pourquoi faudrait-il que celui qui la refuse ait systématiquement raison ? Ne serait-il pas plus normal que ce soit le juge, dont c’est la mission naturelle, qui prenne la décision et tranche le litige ?”

Pourquoi donc en effet, ne pas accepter qu’après avoir entendu les parties et leurs avocats, le juge puisse ordonner la médiation même lorsque tous n’y sont pas favorables ?

Quand le juge a ordonné une médiation, et que cette mesure judiciaire dont il a pris l’initiative a permis aux parties de trouver elles-mêmes, avec l’aide du médiateur qui a été désigné, l’accord qui met fin à leur litige et apaise voire restaure leur relation pour le futur, il a parfaitement rempli le rôle social qui est le sien.

Nîmes le 1er décembre  2018

Marc Juston

Président de Tribunal honoraire

Magistrat à titre temporaire TGI Aix en Provence

Formateur

Membre du Haut Conseil de la Famille de l’Enfance et de l’Âge,

Marc.juston@hotmail.com

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