Introduction :
Reposant sur la restauration du lien, du dialogue et de la communication entre les parties, la médiation favorise l’apaisement et garantit la pérennité de la relation, ce qui est très important, notamment dans la vie des affaires, mais aussi en matière de litiges de proximité et familiaux. Elle est, au XXIème siècle, un outil indispensable du juge et peut trouver toute sa mesure, non seulement dans le contentieux familial où elle est désormais plus couramment acceptée, mais également dans les contentieux civils, sociaux, commerciaux ou administratifs.
En France, la médiation judiciaire est inscrite dans la loi depuis 1995.
Elle demeure d’un usage trop rare – seulement 1 % des modes de résolution des litiges dont l’ensemble des juridictions sont saisies – et reste en partie soumise à l’initiative de quelques -uns qui, au sein de leur service ou de leur chambre, en assurent la promotion.
Ce n’est pas faute, pourtant que la médiation judiciaire fasse parler d’elle. De nombreux articles et ouvrages de professeurs et de praticiens lui sont consacrés, mais aussi des rapports tout à fait importants, ainsi que des conférences et des colloques.
Les avantages de la médiation judiciaire sont indéniables.
Mais cela ne suffit pas.
Il faut encore former les magistrats à la technique d’une solution négociée du conflit.
La formation des magistrats, qu’elle soit initiale ou continue, nationale ou déconcentrée en région, doit avoir pour objectif premier de convaincre les juges qu’ordonner une médiation est un véritable acte de justice.
Il s’agit bien de convaincre que la médiation ne prive pas les parties de l’accès au juge qui l’ordonne, en fixe les modalités, en contrôle le déroulement, et en tire les conséquences selon que les parties sont ou non parvenues à un accord total ou partiel et qu’en la prescrivant, le juge ne renonce aucunement à l’exercice de son pouvoir juridictionnel.
La formation doit être adaptée pour préparer les magistrats au fort investissement personnel et aux approches différentes qu’exige la pratique de la médiation.
La formation des acteurs concernés est essentielle, mais évidemment d’autres actions institutionnelles doivent être entreprises pour favoriser le développement de la médiation judiciaire.
La médiation induit une méthodologie spécifique de mise en œuvre :
- choix des contentieux,
- sélection des procédures,
- information donnée aux parties,
- détermination du moment privilégié pour la proposer,
- désignation du médiateur
Les magistrats, les greffiers, les avocats et les médiateurs doivent être associés à la construction de ces outils méthodologiques pour qu’ils soient reconnus et partagés. Ce travail de construction collective doit être structuré pour être efficient et pérenne. C’est le rôle du magistrat référent et de l’unité régionale de médiation qu’il a vocation à animer.
Beaucoup de contentieux en matière civile, en matière familiale, en matière commerciale et en matière sociale sont éligibles à la médiation judiciaire.
En revanche, il est évident que toutes les procédures n’ont pas vocation à une solution par le biais des Mard. Dès lors, quand on souhaite développer la médiation judiciaire dans un service ou dans une chambre, il convient d’y mettre en place une cellule de médiation qui, dès après l’enregistrement de la procédure par le greffe, va procéder à la sélection des affaires dans lesquelles une médiation judiciaire doit être initiée.
Elle pourra être envisagée :
- Soit, d’emblée, selon le système de la double convocation permettant que les parties assistent à une réunion d’information sur la médiation,
- Soit, à une audience fixée à bref délai au cours de laquelle le juge proposera la mesure, là-encore éventuellement après information s’il existe un médiateur de permanence.
Il est essentiel aussi que les critères de sélection des affaires éligibles à la médiation judiciaire soient précisément établis.
Plusieurs critères peuvent être retenus [qui seront illustrés de quelques exemples réels] :
Le premier tient à l’intérêt qu’ont les parties, malgré le procès, à rétablir ou préserver des relations entre elles, qu’il s’agisse de relations d’affaires ou de relations familiales ou de voisinage.
Il s’agit alors de préférer la médiation judiciaire à l’instance contentieuse et à la décision imposée qui risquent au contraire d’envenimer ces relations au lieu de les apaiser.
Le second critère tient à ce qu’il apparaît que la stricte application du droit ne sera pas entièrement satisfaisante parce qu’elle ne résoudra pas les enjeux réels du litige – qui ne sont pas toujours exprimés ni même apparents dans le débat judiciaire, parce qu’elle ne sera pas équitable, ou parce qu’en réalité, elle aura des conséquences dommageables.
Le troisième critère tient à la complexité de l’affaire sur le fond ou de la procédure. Inquiètes de cette complexité, les parties peuvent se révéler attentives à une proposition de médiation qui, si elle réussit, mettra fin définitivement à l’affaire, parfois à plusieurs instances en cours, et évitera des soucis et des coûts supplémentaires.
Le quatrième critère tient à l’aléa judiciaire. Lorsqu’une partie est sûre de son droit et certaine qu’elle va gagner le procès, elle est peu encline à accepter une mesure de médiation. Mais en réalité, compte-tenu de la difficulté de la matière juridique, d’une jurisprudence évolutive et de l’appréciation souveraine des juges, celui qui est certain de l’issue du procès est bien téméraire.
Et dès lors, les parties raisonnables préféreront la recherche d’un accord au risque sérieux de subir une décision défavorable.
Donnons quelques exemples.
– Un concessionnaire automobile qui exploite un garage dans les murs d’une copropriété a, pour les besoins de son entreprise, modifié des canalisations passant notamment par la cave d’un copropriétaire. Celui-ci l’assigne devant le tribunal pour aggravation de la servitude de canalisation existante. Il demande la destruction des nouvelles canalisations. Les parties acceptent une mesure de médiation qui se termine par un accord homologué par le juge, aux termes duquel le concessionnaire rachète la cave dont son adversaire n’avait en réalité plus vraiment le besoin et pour un coût largement inférieur à celui de la remise des lieux en leur état antérieur.
– Dans un petit immeuble ancien de quatre étages un ascenseur est aménagé à l’initiative d’un copropriétaire du troisième étage, syndic bénévole. Un copropriétaire du quatrième étage agit en justice au motif que l’ascenseur a été installé en violation du règlement de copropriété. Une médiation est ordonnée et permet de traiter l’origine du conflit de voisinage qui n’avait rien à voir avec l’ascenseur que le demandeur a d’ailleurs reconnu utiliser tous les jours à sa plus grande satisfaction.
– Une mère décède laissant pour lui succéder son mari en secondes noces et les deux enfants d’une première union qui ont rompu tout lien avec elle depuis plus de trente ans, après son remariage après la mort de leur père. Il existe un patrimoine très important. En vertu de la donation réciproque entre époux que s’étaient consentie la défunte et son second mari qui lui survit, ce dernier se trouve en indivision avec les enfants du premier lit. La situation est extrêmement conflictuelle. Alors que de nombreuses procédures sont en cours devant plusieurs juridictions, une nouvelle instance est introduite aux fins d’expertise à propos de l’entretien d’une villa dont les enfants sont nu propriétaires et le conjoint survivant usufruitier. Les parties acceptent une médiation notariée qui se conclut par un partage amiable après que la mesure ait permis une rencontre entre les enfants et leur beau-père qui n’avait jamais eu lieu auparavant.]
Les magistrats qui expérimentent régulièrement la médiation pourront tous attester :
– d’accords mettant [ainsi totalement] fin aux litiges dont ils étaient saisis, – mais aussi, d’accords partiels qu’il faut également mettre au compte de la réussite de la mesure dès lors qu’ils permettent de circonscrire le procès aux chefs de demande sur lesquels les parties sont restées en litige.
Un exemple.
– Victime d’une chute dans un supermarché, le processus d’indemnisation amiable n’ayant pas abouti, une personne demande réparation de ses préjudices en justice. Une mesure de médiation est ordonnée. Le défendeur et son assureur admettent la responsabilité du magasin et les parties s’accordent sur tous les chefs de préjudices à l’exception du préjudice d’agrément. Le juge homologue leur accord et n’a plus à statuer que sur l’indemnité due à ce titre.]
Ainsi ont été déterminés les éléments essentiels d’une stratégie de développement de la médiation judiciaire efficace.
Mais il ne suffit pas que les acteurs judiciaires soient convaincus de l’intérêt de la médiation, qu’ils y soient dûment formés, et qu’un processus structuré soit mis en œuvre, pour que les parties acceptent aisément qu’un tiers soit désigné pour les aider à rechercher par elles-mêmes la solution de leur litige.
Il est encore nécessaire qu’elles puissent avoir confiance dans le médiateur désigné. L’engouement pour la médiation suscite de nombreuses vocations. Il est nécessaire qu’un cadre réglementaire offre aux justiciables les garanties déontologiques et techniques qu’ils sont en droit d’attendre d’une procédure judiciaire.
Actuellement, les juges, en dehors de la médiation familiale, pour laquelle sont désignés des médiateurs familiaux diplômés d’Etat, procèdent à la désignation de médiateurs qu’ils connaissent, dont ils ont éprouvé très empiriquement les compétences et la rigueur. Si la médiation judiciaire connaît l’essor espéré, cette méthode artisanale, déjà peu satisfaisante, ne conviendra plus du tout.
L’obligation de formation à la médiation sanctionnée par un diplôme qualifiant reconnu par l’Etat ou par des organismes agréés par lui, l’établissement de listes de Cours d’Appel, à l’instar des listes d’experts, en application de la loi J 21, la promulgation d’un code de déontologie à l’usage des médiateurs sont autant de garanties pour que les modes amiables de règlement des litiges ne connaissent pas une extension sauvage, incompétente et mercantile, totalement en dehors du champ juridictionnel.
Il est enfin nécessaire que les parties puissent connaître le tarif, le coût et le financement de la médiation, que ce tarif, ce coût et ce financement soient transparents et adaptés.
Les justiciables redoutent à juste titre les incertitudes financières de la procédure judiciaire. Les mêmes craintes ne doivent pas réapparaître pour la médiation. Selon les contentieux et les litiges les plus fréquents, il faut donc établir des barèmes indicatifs consensuels.
Ils rassureront ceux à qui la médiation est proposée et ils éviteront les risques de dérive toujours possible de la part de ceux qui la pratiquent.
Il convient de noter ici que le décret du 27 décembre 2016 portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique à insérer au décret du 19 décembre 1991 un chapitre IV bis intitulé : “De l’aide à la médiation”.
Les nouveaux articles 118-9 à 118-12 prévoient la majoration appliquée à la rétribution de l’avocat assistant un bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partie à une médiation et celle du médiateur dès que l’une des parties à la médiation bénéficie de l’aide juridictionnelle.
La conclusion sera empruntée au premier président Marshall :
« la procédure de médiation civile trouvera sa place au sein des juridictions si elle est proposée par des magistrats et des avocats convaincus de son intérêt, rompus à sa technique, et disposant de la formation et des outils méthodologiques qui en favorisent le succès. »
Elle nécessite aussi sans doute un cadre législatif et réglementaire encore renforcé.
Le décret du 11 mars 2015 relatif à la résolution amiable des différents prévoit que :
« sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, la requête, la déclaration ou l’assignation qui
saisit une juridiction précise les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».
Cette disposition participe certainement de la volonté de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, mais son caractère très général, l’imprécision des diligences exigées et surtout l’absence de nullité encourue, montre bien qu’on en est encore aux pétitions de principe, très en-deçà d’une politique publique vraiment résolument incitative.
En certaine matière, et prioritairement en matière familiale, des dispositifs de médiation préalable obligatoire devraient être adoptés.
D’ores-et-déjà, une loi du 18 novembre 2016 a reconduit pour 3 ans l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire en matière familiale et un arrêté du 16 mars 2017 a désigné les 11 tribunaux de grande instance désormais concernés par cette expérimentation.
En France, on enseigne comme une évidence que la médiation doit procéder d’une démarche purement volontaire.
Dans un article récemment publié, François Staechle, magistrat honoraire et médiateur, montre que :
« cette pétition de principe… n’a rien d’un impératif universel” et que, “bien des pays y dérogent sans inconvénient : l’Allemagne en droit du travail…les Pays-Bas, l’Irlande, la Grèce en matière commerciale…” et que “d’autres… sans la rendre formellement obligatoire, sanctionnent le refus déraisonnable d’y procéder ”.
François Staechle expose également que :
“les médiations rendues obligatoires par l’effet d’une clause de médiation sont un autre exemple que le caractère contraignant ne constitue pas un obstacle psychologique dirimant à la conclusion d’un accord”.
Et il ajoute :
“Quand une partie souhaite une médiation et que l’autre s’y refuse, pourquoi faudrait-il que celui qui la refuse ait systématiquement raison ? Ne serait-il pas plus normal que ce soit le juge, dont c’est la mission naturelle, qui prenne la décision et tranche le litige ?”
Pourquoi donc en effet, ne pas accepter qu’après avoir entendu les parties et leurs avocats, le juge puisse ordonner la médiation même lorsque tous n’y sont pas favorables ?
Quand le juge a ordonné une médiation, et que cette mesure judiciaire dont il a pris l’initiative a permis aux parties de trouver elles-mêmes, avec l’aide du médiateur qui a été désigné, l’accord qui met fin à leur litige et apaise voire restaure leur relation pour le futur, il a parfaitement rempli le rôle social qui est le sien.
Nîmes le 11 juin 2018
Marc Juston